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Les rendez-vous d'Ormesson

: Pourquoi avez-vous choisi ces trois personnages :

Napoléon / Morny / Bernis ?

JMR :

Ce sont trois personnages qui correspondent chacun à une

part de ma personnalité. Napoléon m’a sauvé la vie. Quand j’étais

adolescent, j’étais désespéré puis je suis tombé sur le mémorial

de Sainte-Hélène et j’ai vu un homme qui avait traversé toutes

les difficultés que peut rencontrer un adolescent ou un adulte. Il

a connu un nombre d’échecs invraisemblables et il a fini en exil.

Quand on est désespéré, ça fait du bien !

Pour le Duc de Morny, ce qui m’intéressait c’est qu’il était un

bâtard. Il n’avait pas connu sa mère. C’était un enfant naturel. J’ai

trouvé intéressant de savoir comment il avait réussi à faire de son

handicap une arme pour lutter contre l’adversité.

Quant au cardinal de Bernis, c’est une autre conception de

la politique, très humaine, très amicale. C’est un homme qui a

essayé de lier l’ambition à la bonté. Et de ce point de vue c’est un

personnage très séduisant.

: Selon vous, quel est leur point commun ?

JMR:

Leur point commun est le désir du pouvoir et de croire que ce

pouvoir va leur donner la clef du bonheur. Or, je pense que tous ces

hommes, étrangement, créent du merveilleux. Nous sommes dans

une époque où il n’y a plus beaucoup de place au merveilleux. Avant

nous avions des légendes. Finalement, les hommes politiques ont

remplacé ces acteurs du merveilleux qui étaient autrefois les héros de

l’

Iliade

et de l’

Odyssée

.

: Quelle serait la définition d’un homme de pouvoir ?

JMR :

Il y a plusieurs types d’hommes de pouvoir. À toutes les

époques, ces hommes ont fasciné. Ils ont correspondu à des rêves

de l’opinion parce que l’on s’interroge sur leur succès. Et on se

rend compte des nombreux échecs qu’il a fallu pour les obtenir. On

le voit avec de Gaulle ou avec Churchill. Je pense que l’opinion a

besoin de ces personnages, elle a besoin des héros de roman et elle

a besoin de ces héros de la vie réelle. Jules Michelet** disait que

c’était un peu « comme la loterie nationale » : quand les gens voient

un homme politique ou quand ils lisent un roman avec des héros

comme Bellamy ou Barry Lindon, ils se disent que ça pourrait leur

arriver, comme s’ils avaient gagné le gros lot. Pendant qu’ils lisent,

ils s’identifient. C’est ce qui explique la sévérité qu’on peut avoir

pour les hommes politiques parce qu’on attend beaucoup d’eux.

Surtout en France parce qu’il y a quelque chose de charismatique.

Les hommes politiques sont presque les successeurs des rois. Or les

rois étaient considérés comme des demi-dieux ! Un président de la

république en France garde ce caractère un peu sacré. Je crois que

les présidents qui ont voulu être trop décontractés, et bien, ont eu

tort, car ils ont cassé ce désir de sacré.

: Selon vous, comment expliquez-vous l’attachement

des Français à Jean d’Ormesson ?

JMR :

Je pense que Jean d’Ormesson était un écrivain qui a eu le

privilège d’être un phénomène de société. Beaucoup d’auteurs sont

lus mais ils ne créent pas cette forme d’unanimité. C’est d’autant

plus étonnant qu’il était aristocrate, normalien, fils d’ambassadeur

et en même temps, tout le monde, peu importe la catégorie sociale,

a trouvé dans sa personnalité quelque chose qui lui convenait. Il a

incarné non seulement la tradition française, mais aussi la tradition

de l’esprit français. Aujourd’hui, ce fameux esprit français manque

un peu dans le débat quand vous regardez la télévision… Mais avec

Jean d’Ormesson on avait vraiment cet esprit français ainsi que ce

mélange de profondeur, de légèreté et de gaité.

Les aventuriers du pouvoir de

Morny à Macron de Jean-Marie

Rouart aux éditions Robert Lafont